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E muet - Elision - Hiatus


Notions préliminaires.


La poésie est l'art d'écrire en vers.
Un vers est un assemblage de mots arrangés suivant certaines règles fixes et déterminées.
La versification est l'ensemble des procédés que le poète emploie pour s'exprimer en vers. L'ensemble de ces techniques est codifié dans ce qu'on appelle les règles de la prosodie classique.

Trois points essentiels différencient la poésie classique de la prose :
         1° La poésie s’écrit en vers. Ceux-ci ont un nombre limité et régulier de syllabes, c'est-à-dire la quantité de phonèmes, brefs ou longs, sur laquelle ils se reposent pour déterminer le rythme.
        2° Les vers se terminent par la rime, c'est-à-dire l'homophonie ou la similitude de son, à la fin de deux ou plusieurs vers, qui donne l'accent final, le relief nécessaire pour le distinguer des autres accents, ce qui crée un écho distinctif. (Voir le chapitre sur la rime)
        3° Ils n'admettent pas l'hiatus, c'est-à-dire la rencontre de deux voyelles dont l'une finit un mot et l'autre commence le suivant, comme j'ai eu, tu es. Le e muet est seul excepté. (Voir les chapitres concernés)

Une syllabe est la réunion d'une ou de plusieurs consonnes avec une ou plusieurs voyelles, comme la, il, les, nous, je, prix, etc. formant un phonème (en phonétique, son qui constitue la plus petite unité de langage prononçable. Microsoft® Encarta®): ainsi l'on dit que le mot ha-ï a deux syllabes.
Puisque les vers français ont un nombre fixe de syllabes, il faut apprendre, avant tout, à compter les syllabes qui le composent. Scander un vers, c’est le prononcer en articulant nettement et en détachant toutes les syllabes qui le forment

Toute syllabe compte dans le corps du vers, même le "e" muet final, à moins qu'il ne soit suivi immédiatement d'une voyelle ou d'une h non aspirée. Exemples : L'hom-me-vient; les hom-mes-heu-reux. Mais l'on scandera : L'hom-m’a-droit; l'hom-m’heu-reux. Dans ce cas, l'e muet final se perd dans la prononciation, ou, suivant l'expression propre, il s'élide. On dit encore qu'il y a élision de l'e muet. Il faut avoir bien soin de rétablir, en scandant, les syllabes muettes que la rapidité de la prononciation ne fait pas ressortir dans le langage familier : feui-lle-ter, u-ne pe-ti-te ru-se.

Quand deux voyelles se suivent dans le corps d’un mot, il faut prendre soin à les dissocier quand elles ne forment pas une diphtongue : Vous a-vou-ez, un di-a-mant, une a-cti-on
 

E MUET. - ÉLISION.


1° Nous avons dit que l'e muet, terminant un mot et suivi d'une voyelle, ne compte pour rien dans la mesure du vers : il y a alors élision. Ex.:

Ismène est auprès d'elle, Ismène, toute en pleurs,
La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs. Racine, Phèdre, V, 6 

On scande comme s'il y avait : Is-mè-n'es-t'au-près-d'el-l'Is-mè-ne-tou-t'en-pleurs, etc.

La poésie ne fait en cela que se conformer à la prononciation de la prose. 

L'élision de l'e muet final a lieu aussi quand le mot suivant commence par une h non aspirée:

  Laisse-moi prendre haleine, afin de te louer. CORNEILLE, Le Cid
L'argent en honnête homme érige un scélérat. BOILEAU, Ép. V.
 
Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiègeRACINE, Athalie  

Mais elle n'à point lieu quand l'h qui suit est aspiré:

Me montrer à la cour, je hasardais ma tête. CORNEILLE, Le Cid
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle. BOILEAU, Ép XI
Malheureux, j'ai servi de héraut à sa gloire. RACINE, Esther,
 III, 1
Je jure hautement de ne la voir jamais. MOL. 

L'élision de l'e muet est obligatoire dans le corps du vers si le "e" final est précédé d'une voyelle accentuée, simple ou composée, comme dans les mots terminés par les syllabes: aie,ée, eue, ie, oie, oue, ouie, ue, uie, aye. (pagaie, vie, joie, risée, queue, vue, paye, etc)

Rome entière noyée au sang de ses enfans. CORN.
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous. RAC.

  Si ces mots ne sont pas élidés, ils ne peuvent figurer qu'à la fin du vers.

  Par conséquent, au pluriel, les joies, les destinées, ils voient, ils prient, renfermant un e muet que les consonnes finales ne permettent pas d'élider, ne peuvent être placés qu'à la fin d'un vers.

En corollaire de cette règle, les mots avec les terminaisons aies,ées, eues, ies, oies, oues, ouies, ues, uies, ayes ne peuvent apparaître qu'en fin de vers, comme rime.  

Remarque. Dans notre ancienne poésie, cet e muet pouvait être suivi d'une consonne, ne pas être élidé : alors il comptait pour une syllabe, ce qui était d'une extrême dureté, et altérait sensiblement la bonne prononciation.

Malherbe introduisit la réforme sur ce point, comme sur beaucoup d'autres : la loi qu'il a établie se trouva rarement violée après lui.
"Le mot aïe ne peut entrer dans un vers, à moins qu'il ne soit suivi d'une voyelle avec laquelle il forme élision." (Voltaire.)  
Le mot paye a besoin d'élider son e muet; le pluriel payent veut être placé à la rime. 

               3° L'e muet en fin de vers, qui caractérise les rimes féminines, ne compte pas dans la mesure et n'a pas besoin d'être élidé, quoique le vers suivant commence par une consonne, et qu'il y ait continuité dans le sens:

Ciel! à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie? CORN.
Si tu peux en douter, juge-le par la crainte
Dont, en ce triste jour, tu me vois l'âme atteinte. ID. 

Si l'on excepte le cas précédent, l'élision de l'e muet n'a jamais lieu devant une consonne.
L'ancienne poésie se permettait l'apocope, ou suppression de l'e muet, dans un grand nombre de cas. 

L'e muet acquiert quelquefois plus de valeur dans la prononciation, et devient accentué. Ainsi, dans voyez-le, l'accent tonique porte sur la dernière syllabe. Ex.

Si tu peux en douter, juge-le par la crainte. CORN.
Donnez-le. Voulez-vous que d'impurs assassins, etc. RAC.
Je pourrois, sur l'autel où ta main sacrifie,
Te... mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter. RAC.
Et de ce non content,
Auroit avec le pied réitéré. Courage. ID. 

Ici les muettes le, te, ce, sont accentuées. 

Dans ce cas, rien n'empêche de placer la muette à la césure :

Eh bien ! achève-le : voilà ce cou tout prêt. ROTROU.
Mesdames, je . . . ferai tout mon possible. ID.
Non que pour ce de rien moins je la prise. PIRON.  

Puisque, dans les exemples précédents, l'e muet est accentué, il se soumettra difficilement à l'élision. 

Si vous scandez : voyez-le en passant en cinq syllabes, voyez-l'en passant, vous altérez la véritable prononciation, en déplaçant l'accent. On doit prononcer voyez-le à peu près comme voyez-leu. D'ailleurs, l'orthographe même nous montre que l'élision n'est point ici praticable; car elle ne permet pas d'écrire : voyez-l'en passant, comme elle ordonne d'écrire l'homme.

  Dans le genre soutenu, on évite entièrement la rencontre de cet e muet avec une voyelle; car si l'élision est choquante, d'un autre côté le conflit d'une voyelle accentuée avec une autre voyelle produirait un hiatus.   

L'abbé d'Olivet, blâmant cette élision, produit l'autorité de Racine, qui, dans la Thébaïde, avait dit:

Accordez-le à mes vœux, accordez-le à mes crimes.

 et qui substitua dans une seconde édition :

Ne le refusez pas à mes vœux, à mes crimes. 

Certains mots contiennent un e muet intérieur qui ne se prononce pas, et qui ne fait qu'allonger la syllabe précédente : Vous avouerez, il louera, je prierais, etc.  Cet e muet ne compte pas dans la mesure.  

L'"ent" des verbes à l'imparfait et au conditionnel, étant totalement inaudible, ne compte pas à l'intérieur d'un vers (chan/taient) et il n'est pas nécessaire d'élider le e muet. Ces verbes en fin de vers sont rimes masculines, malgré leur terminaison féminines.

Quelques vers au présent de l'indicatif suivent la même règle. (Ils fuient, ils croient….)

Par contre, au subjonctif, c'est le contraire Le "ent" final est percéptible dans la prononciation et forme à lui seul un syllabe. (qu'ils fui-ent)

En prollongement de cette règle, aient (subjonctif du verbe avoir), par exemple, ne peut rimer avec les sons "aient" de l'imparfait du subjonctif, l'un étant considéré comme rime féminine (que j'aie) et les autres comme masculine.

Et/ dont/ jus/ques/ ici //les/ siè/cles /aient/ parlé. ROTROU
Sans/ que/ mil/le a/cci/dens// ni/ vo/tre in/dif/fé/rence
Aient/ pu/ me/ dé/ta/cher// de/ ma/ per/sé/vé/rance. MOL. 

Pour "soient" (qu'ils soient), le ent ne compte pas. Ce mot peut figurer à l'intérieur d'un vers. (singulier: que je sois (RM). Ex.

Les/ pré/sents/ du/ ty/ran// soient/ le/ prix/ de/ ta/ mort. CORN.
Et/ de/ dou/tes/ fré/quents// ses/ vœux/ soient/ tra/ver/sés. MOL.
Tous/ tes/ pi/liers/ ne/ soient// en/ve/lo/ppés/ d'a/ffiches. BOIL



HIATUS.
 


En poésie, l'e muet est la seule voyelle terminant un mot qui puisse être suivie d'une autre voyelle ou d'une h non aspirée. Hors ce cas, la rencontre de deux voyelles forme un hiatus, un bâillement, qui est sévèrement défendu. Ainsi l'on ne peut mettre dans un vers : tu es, tu auras, si elle vient, il y est. La prose le supporte, pourvu qu'il ne soit pas trop dur ; mais depuis Malherbe, et sauf quelques rares exceptions, notre poésie ne tolère pas l'hiatus à l'intérieur du vers ; il est interdit entre les mots et le sonnet ne l'admet pas.

Boileau a consigné cette règle dans son Art poétique, et l'a rendue sensible par deux exemples qui imitent l'hiatus, sans toutefois être fautifs

Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée. 

La conjonction "et", suivie d'une voyelle, fait également hiatus. La raison en est que le t ne se prononce point : il semble que ce mot soit écrit par la seule lettre é fermé. Ainsi on ne peut dire en vers : et il vient, sage et heureux.

Si l'h est aspirée, on peut la faire précéder de toutes les voyelles et de la conjonction et. Exemple; la haine, et hors de lui.

Il n'a pas voulu vivre et mériter sa haine. CORN.
Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse. BOIL.
Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d'haleine? RAC
Ce seul dessein l'occupe; et hâtant son voyage. ID. 

L'hiatus n'est interdit à notre versification que depuis la fin du XVI° siècle ; Malherbe et plus tard Corneille lui ont porté les derniers coups. 

Remarques. La poésie admet l'hiatus:  

    1° Dans le corps des mots: Dana-é, obé-ir, flé-au, ré-unir, nati-on, vi-olence, pi-eux, No-é, Simo-ïs, dou-é, gratu-it.

    2° Dans les mots composés:

Dans tout le Pré-aux-Clercs tu verras mêmes choses. CORN

    3° Entre deux vers, même quand le sens est continu:

D'un Romain lâche assez pour servir sous un roi,
Après avoir servi sous Pompée et sous moi. CORN.
Deux fois de mon hymen le nœud mal assorti
A chassé tous les dieux du plus juste parti. CORN.
Dans un calme profond Darius endormi
Ignorait jusqu'au nom d'un si faible ennemi...
Ni serment, ni devoir ne l'avoit engagé
A courir dans l'abîme où Pores s'est plongé. ID. 

    4° On peut placer une voyelle après ce qu'on appelle, avec raison, une voyelle nasale, c'est-à-dire an, in, on, un, oin, quoique souvent cette rencontre ait quelque chose de dur à l'oreille:

Qui vous donna la main et qui vous donna l'être. CORN.
Apollon en connoit qui te peuvent louer. BOIL.
Il veut partir à jeun : il se peigne, il s'apprête. ID
Le dessein en est pris, je le veux achever. RAC. 

    5° Quand un mot se termine par un e muet, précédé lui-même d'une voyelle, et qu'on élide cet e muet, il reste effectivement un hiatus, qui est toutefois admis dans la versification:

Rome entière noyée au sang de ses enfans CORN.
La plaintive Élégie, en longs habits de deuil. BOIL.
Aux accons dont Orphée emplit les monts de Thrace. ID. 

Quand les consonances finales et initiales sont les mêmes, elles nous frappent plus désagréablement, et une oreille délicate craindra de les admettre :

Consultez-en encore Aebillas et Septime. COR.
Barbin impatient chez moi frappe à la porte. BOIL.
Immolant trente mets à leur faim indomptable. ID. 

    6° Les mots terminés en R peuvent être suivis d'une voyelle, même quand cette r ne se prononce pas :

Et fait le monde entier écrasé sous sa chute. CORN.
Je reprends sur-le-champ le papier et la plume. BOIL.
C'est ainsi qu'à son fils un usurier habile...
Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui sommeillent. ID. 

Cependant, il est conseillé d'user très sobrement de cette liberté. La rencontre de pareils mots met dans l'alternative ou d'altérer la prononciation, ou de faire un hiatus réel et choquant. 

La même remarque s'applique à toutes les consonnes muettes qui ne dissimuleraient que pour l'œil la présence de l'hiatus:

Le manteau sur le nez, ou la main dans la poche. RAC
Enfermée à la clef, ou menée avec lui. MOL
Le coup encore frais de ma chute passée. MALH 

    7° L'adverbe oui, répété deux fois de suite, est admis dans le dialogue:

Oui, oui, cette vertu sera récompensée. RAC
Oui, oui, vous nous contez une plaisante histoire! MOL 

    8° Les interjections ah, eh, oh, peuvent être suivies d'une voyelle : l'h finale est considérée comme aspirée. Ex.

Mon père! — Eh bien? eh bien? quoi? qu'est-ce? Ah! ah! Quel homme! RAC.
J'irois trouver mon juge. —Oh! oui, monsieur, j'irai. ID.
Ah! il faut modérer un peu ses passions. MOL. 

    9° L'hiatus tel qu'il existe dans quelques locutions familières, comme tant y a, à tort et à travers, etc., est quelquefois admis dans un genre de poésie simple et familier :

Tant y a qu'il n'est rien que votre chien ne prenne. RAC
Le lendemain, tout le jour se passa
A raisonner et par-ci et par-là. LA FONT.

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La règle de l'hiatus, telle qu'elle est établie par l'usage général de nos poètes, peut être et a été l'objet de critiques fondées. Elle n'en est pas moins une des lois essentielles de notre versification.

Nous reviendrons sur cette matière quand nous parlerons de l'harmonie. 


Diérèse et synérèse (les diphtongues).