Les strophes: le onzain, le douzain, mélange de trois mètres.
LA STROPHE DE ONZE VERS ou ONZAIN.
La strophe de dix vers (de sept ou huit syllabes) a toute l'étendue que comporte une strophe dont on veut que la cadence soit bien appréciée par l'oreille.
Aussi les Strophes plus longues sont-elles peu usitées.
La Strophe de onze vers est très rare. C'est un dizain qui a un vers supplémentaire ou surabondant après le quatrain.
1er modèle FMMFMFFMFFM
Nous ne goûterons plus vôtre ombre,
Vieux pins, l'honneur de ces forêts,
Vous n'entendrez plus nos secrets ;
Sous cette grotte humide et sombre
Nous ne chercherons plus le frais;
Et, le soir, au temple rustique
Quand la cloche mélancolique
Appellera tout le hameau,
Nous n'irons plus à la prière
Nous courber sur la simple pierre
Qui couvre un rustique tombeau. LAMARTINE.
2e modèle. FMMFMMFMFFM
Un petit avis charitable ;
Iris, croyez-moi, quittons-nous.
Vous me recevez d'un air doux,
Et vous êtes pour moi d'humeur assez traitable;
Mais tout ceci n'est plus amour.
Le mien s'alentit chaque jour ;
Enfin ma conscience se lasse.
Quoi que nous puissions nous jurer,
Chacun de nous deux s'embarrasse :
Ah! finissons de bonne grâce
Ce qui ne peut longtemps durer. PAVILLON.
LA STROPHE DE DOUZE VERS ou DOUZAIN
La strophe de douze vers, ou le douzain, se coupe diversement : c'est ordinairement la strophe de dix vers à laquelle on ajoute un distique, soit après le septième vers, soit à la fin.
1e modèle. FMMFMMFMFMFM
Au fond de votre solitude,
Princesse, songez quelquefois
Que le climat où sont les rois
Est un séjour d'inquiétude;
Que les orages dangereux
Pour ceux qu'on croit les plus heureux
S'élèvent sur la mer du monde ;
Et que, dans un port écarté,
Tandis que la tempête gronde,
On rencontre la sûreté
D'une paix solide et profonde
Que l'on possède en liberté. CHAUI.IEU.
2e modèle. FMFMFFMFMFFM
Vive image d'Achille,
Devant qui tout lâche le pié,
Qui ne te comptait pas pour mille
Comptait trop peu de la moitié.
Il ignorait que ton épée,
Dans une eau fatale trempée,
Porte l'horreur et le trépas;
Que c'est elle qui fait résoudre
Les difficultés des combats,
Et qui dans le sang et la poudre
Fait voler des éclats de foudre
Partout où s'avancent tes pas. TRISTAN.
3e modèle. MFMFMMFMFMFF
Lui seul, sans me l'avoir promis,
M'a conservé sa bienveillance,
Quand plusieurs de mes vieux amis
Ont eu pour moi de l'inconstance.
Lui seul d'entre les grands seigneurs,
Pour la plupart de francs pipeurs,
M'a fait du bien sans le promettre,
Sans faire sonner le tambour,
Pour en bonne estime se mettre,
Comme on fait souvent à la cour.
Mais, Muse, taisons-nous : un homme si modeste
Nous défend de dire le reste. SCARRON.
4e modèle.
Mais une distribution plus harmonieuse de cette strophe consiste à la couper en un quatrain et un huitain : les rimes qui sont doublées dans le sixain de la strophe de dix vers, sont ici triplées. Cette strophe se trouve dans plusieurs poètes du XIXe siècle, je ne pense pas qu'on l'ait employée avant eux: FMFMFFFMFFFM
Pauvre Grèce, qu'elle était belle
Pour être couchée au tombeau !
Chaque visir de la rebelle
S'arrachait un sacré lambeau.
Où la fable mit ses Ménades,
Où l'amour eut ses sérénades,
Grondaient les sombres canonnades,
Sapant les temples du vrai Dieu ;
Le ciel de cette terre aimée
N'avait, sous sa voûte embaumée,
De nuages que la fumée
De toutes ses villes en feu. V. HUGO
Cette strophe, composée d'un quatrain et d'un huitain distincts, est très-harmonieuse.
Nos anciens poètes construisaient le douzain assez souvent en petits mètres.
Ils ont aussi essayé des strophes plus étendues, dont les formes plus ou moins bizarres n'ont pas été
reproduites.
MÉLANGE DE TROIS MÈTRES
Nos plus célèbres poètes lyriques, Malherbe et Rousseau, n'ont pas employé plus de deux mètres dans une strophe,
et leur exemple a consacré cette méthode, que l'harmonie ratifie
Mais, au XVI° et XVIIème siècle, les
poètes alliaient assez souvent trois mètres dans une strophe. Les essais de ce genre ont été généralement peu heureux.
Ce mélange consistait ordinairement en vers de douze syllabes, de huit et de six; plus rarement on faisait usage du décasyllabe.
QUATRAIN.
1°
Heureux qui dans son âme a fortement gravée
La crainte du Seigneur !
Sa loi sans chagrin observée
Tourne en plaisirs pour lui ce qu'elle a de rigueur. CORN.
2°
Beaux jours, du monde les délices ;
Fleurs, de la terre les prémices,
Pour mes yeux, en tout temps aux larmes condamnés,
En vain vous revenez. MOTIN.
3°
Peuple, n'en doute point : c'est le Seigneur, c'est lui
Dont le bras invincible a pris nôtre défense ;
Et son adorable puissance
A qui le sert aime à servir d'appui. CORN.
QUINTIL.
A mon secours, Seigneur : c'est ma voix qui t'appelle ;
Je n'ai point d'autre protecteur.
Humilié, souffrant, j'ai ranimé men zèle,
J'ai dit : Dieu lui seul est fidèle,
Et tout homme est menteur. LA MOTTE.
On a beau fuir de Mars la main ensanglantée,
Et des vents du midi la vapeur empestée :
Il faut descendre chez les morts;
Du Cocyte il faut voir l'eau noire et détestée,
Et les funestes bords. LA FONT.
SIXAIN
Dieux, qui protégez l'innocence
Contre l'outrageuse licence
Qui règne parmi les humains,
Frappez mes ennemis; brisez-les comme verre :
Et jamais le tonnerre
Avec tant de raison ne partit de vos mains. MAYNARD.
Ils avoient bien les traits de leur père au visage :
Comme lui, peu de force et beaucoup de courage,
Lorsqu'en ce rude effort,
Poussant dans le ciel leur volée,
La pente troupe affolée
Avant la pâle peur sentit la froide mort. D'AUBIGNY (père).
Ces cœurs, enflés de vaine gloire,
S'efforcent de ne te pas croire
Auteur de ce grand tout.
Mais leur présomption en blasphèmes féconde
Dessous le tonnerre qui gronde
Ne saurait demeurer debout. RACAN.
Pour la peur que j'ai des jaloux,
Je n'ose parler devant vous
De mon amour extrême ;
Je déguise mes maux, je cache mes ennuis,
Tant que je ne puis plus, en l'état où je suis,
Me connaître moi-même. BOISROBERT.
Doux remède à nos sens malades,
Chastes Hamadryades,
Qui vivez saintement sous l'écorce des bois,
Qu'un froid long et fâcheux tient vos beautés gênées !
Vous n'avez point passé d'années
Où vous ayez souffert de plus sévères lois. TRISTAN.
Mes yeux, moins discrets que ma bouche,
Parlent du tourment qui me touche,
Et découvrent un feu qui doit me consumer :
De leur peu de respect l'orgueilleuse s'offense ;
Mais pour les obliger désormais au silence,
La mort va les fermer.
Plaisant séjour des âmes affligées,
Vieilles forêts, de trois siècles âgées,
Qui recelez la nuit, le silence et l'effroi :
Depuis qu'en ces déserts les amoureux sans crainte
Viennent faire leur plainte,
En a-t-on vu quelqu'un plus malheureux que moi? RACAN.
HUITAIN.
Mais si vous revoyez un jour
Ce cher objet de ma pensée
Touché du même trait d'Amour
Dont il a mon âme blessée,
Qui, comme un beau soleil ouvrant le sein des fleurs,
Dissipe mes ennuis, et coule, et me défende :
Armez-vous lors, mes yeux, de flamme, au lieu de pleurs :
Mon cœur vous le demande. DU BILLAN.
DIZAIN.
Tel qu'aux cris de l'oiseau ministre du tonnerre,
Plus léger que les vents et plus prompt que l'éclair,
Un aigle, jeune encore, élancé de la terre,
S'essaie à l'empire de l'air :
En vain d'oiseaux jaloux une foule rivale
Veut le suivre, l'atteindre et voler son égale;
Vainqueur il disparaît, et plane au haut des cieux :
Tel, au cri d'Apollon, soudain brûlant de gloire,
J'irais, j'irais saisir le prix de la victoire
Loin des profanes yeux. LE BRUN.